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lundi 23 août 2010

Ouverture du bal littéraire, Ego Tango, Caroline de Mulder


Un premier roman de haute volée paru en août aux éditions Champ Vallon.

Ego tango, ou la décadence version XXIe siècle dans les salles de tango parisiennes. Si la jeune femme, personnage-narrateur, balance entre la tentation de s’y abandonner et celle de s’en défier, dupe de ses fantasmes, c’est le récit même, aux allures de polar, qui moque ses élucubrations, déjouant d’une feinte l’histoire qu’elle ne se raconte pas tout à fait à elle-même dans l’espoir de combler sa propre vacuité. "Du neuf, que je pense, à part moi, avec en bouche un petit goût, je triture ma lèvre du bas entre mes dents. Cause toujours, tu m'intéresses."

L’illusion, la possibilité d’un drame dans une vie lénifiante, gonflées puis éventrées avec une ironie subtile, révèlent une grande maîtrise de la composition romanesque, où les personnages troubles doivent aussi leur mystère à la médiocrité : Ezequiel, le squatteur aux allures d'ange déchu, Alexis de Saint-Ours, revenu des dangers du journalisme d'investigation et disparu au même moment que Lou, au regard fuyant et à la "violente odeur de fleur broyée"...

L’atmosphère délétère et décalée tient à l’art d’accommoder les tournures orales aux formules toutes faites, aux métaphores figées, tronquées ou transformées, donc d’autant plus éloquentes, dans le délié rythmique d’une poésie qui claque, à la manière des talons des souliers défraîchis sur les parquets des soirs ivres de danse, qu’elles cachent la misère sous la soie éclatante, étouffant les réminiscences d’abattoirs argentins dans l’abrazzo tourmenté des salles de fortunes à Paris. Ego tango suit une partition à la cadence savamment orchestrée, entraîne dans la passion d’une milonga le lecteur ébloui, qui ne retrouve ses esprits qu’une fois le bal fini.

Présentation de l'éditeur :

«Au tango, les femmes ont les pieds nus, été comme hiver, toujours au bord de prendre un mauvais coup, et meurtris de bleu et de cru, mal guéris du coup précédent. Nous marchons dans un champ de mines. Nous aimons ce qui ne dure pas. Les bons moments qui finissent mal. Les lanières, la terre et le cuir dense des pieds d’homme qui s’incrustent à vif dans nos pieds.» C.D.B.Voyage nocturne dans le monde clos et moite du tango parisien, dans lequel les afficionados se jettent à corps perdu et vivent la danse comme une addiction, Ego tango est aussi un chassé croisé amoureux entre quatre personnages dont les rapports sont ceux qui s’expriment, sur un plan métaphorique, dans le tango lui-même (j’avance, tu recules).
Un fil rouge : le roman du tango devient roman policier quand Lou, une danseuse exceptionnelle, et son amant disparaissent si brutalement que l’on soupçonne un meurtre. La narratrice, qui tentait de se réapproprier dans la danse son propre corps, fascinée, enquête… Le drame surgit, car dans le tango le tragique n’est jamais loin…

Née en 1976 à Gand (Belgique), Caroline De Mulder enseigne à l’université de Namur . Elle vit actuellement à Paris. Ego tango est son premier roman. Elle publiera au printemps 2011 un essai aux Editions Gallimard (Faust amoureux).

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