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samedi 31 octobre 2009

Les taiseux, Jean-Louis Ezine

L'entreprise d'écriture donne-t-elle du sens à une origine, à une destinée ? C'est la démarche même de Jean-Louis, le narrateur de ce récit autobiographique, qui lui assurera une place dans le monde, davantage que le résultat de son investigation. "Tous les illégitimes savent qu'ils devront se fabriquer, non seulement sur le mensonge de leurs pères, mais sur ceux qu'ils produiront eux-mêmes. Parce qu'ils sont vierges de tout héritage, ils sont, à la lettre, les innommables. On ne sait pas qui l'on est quand on ne sait pas d'où l'on vient. Il faut bien s'inventer. Se trouver, coûte que coûte. Il faut bien se mentir."

Jean-Louis fait parler les taiseux : en les sortant du mutisme, il fait bouger les lignes et assure sa place parmi eux. Les taiseux, ce sont les adultes, qui maintiennent l'enfant dans l'ignorance de sa propre histoire, mais aussi sa mère et son père adoptif, Ezine, qui ne résolvent aucun conflit verbalement. Voilà qui caractérise aussi le silence qui règne entre Ezine et Jean-Louis. Le refuge du narrateur enfant dans un monde imaginaire peut être associé à la construction mentale de la mère autour du mythe de la passion vécue avec le père disparu. En épousant Ezine, elle s'est précipitée, de son propre aveu, dans les bras d'un monstre, espérant que son amant vienne la chercher. Elle a donc vécu dans l'imposture : ce n'est pas dit, mais le réseau des faits le soulignent.

Au plan psychologique, la recherche de la vérité, et peut-être même l'écriture, sauvent celui qui écrit (l'auteur-narrateur). L'esprit peut rétablir une mémoire organisée. Les phénomènes étranges s'expliquent, même s'ils soulèvent d'autres ambiguïtés. La beauté du récit provient du mystère qui s'épaissit au fur et à mesure que l'enquête progresse, que le fil du temps est remonté. Au contraire d'un roman policier, tout n'est pas dénoué à la fin (ce qui, en mettant fin au suspense, libère le lecteur qui peut oublier le récit). Ici, l'horizon des possibles reste ouvert, l'origine n'est que partiellement élucidée : en renvoyant le lecteur aux zones d'ombre de sa propre filiation, le narrateur appartient définitivement au même monde que ses pairs.

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