PAPEROLES // notes de lecture / digressions ///

mercredi 27 janvier 2010

Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, Fabio Viscogliosi

Il s’agit d’une compilation des souvenirs de l’auteur, présentés selon de courts chapitres reliés les uns aux autres par association d’idées. Parmi les nombreux hommages, légers et pudiques, à des artistes du XXe siècle, mais aussi des siècles précédents, découverts par Fabio Viscogliosi, notamment au cours de son adolescence, on notera la place centrale qu’occupe la référence à Pérec : le chapitre consacré au « jour de la mort de John Lennon » p.143 (d’un livre qui contient précisément 286 pages) s’ouvre en effet en ces termes : « Je me souviens très bien du jour de la mort de John Lennon », et s’articule au chapitre suivant par une autre formule de « Georges Pérec à propos de l’écriture », que Fabio Viscogliosi trouve appropriée à la nonchalance du chanteur : « il suivait sa pente ». Dès le chapitre suivant, intitulé « La pente », p. 145, c’est de Pérec lui-même qu’il est question, de Quel petit guidon à vélo chromé au fond de la cour ? injustement négligé, selon Viscogliosi, après le succès des Choses, œuvre « tenue », de facture classique et formelle.
Il semblerait bien que dans ce livre, Fabio Viscogliosi suive sa propre pente, enclin à s’épancher, au gré des digressions : il puise dans sa mémoire les épisodes de l’enfance, en famille (avec père, mère, sœur et pépé Carlo), à l’école, sur les chantiers où il accompagnait son père, ouvrier en bâtiment.
On glanera aussi bien des réflexions sur le monde physique et mécanique que des réminiscences d’œuvres contemplées, lues, entendues, d’émissions ou d’anecdotes à propos de Magritte, de Buster Keaton. Il est question du passage anodin de Bob Dylan dans la rue, croisé par ses parents comme l’atteste un cliché flou, des dimensions exactes d’un tableau de Sasetta, de Snoopy à l’univers inamovible, de l’ultime aspiration de Kerouac au repos au terme de ses tribulations. A l’aventure, préférer en définitive la promenade.
Le ton était donné dès le premier chapitre :
« Le bonheur ne produit pas d’histoires».

Ce livre représente précisément l’apologie d’un « bonheur sans histoire », de la satisfaction, moins une nostalgie qu’une complétude modelée par le temps qui passe et laisse sa trace, comme aux doigts meurtris celle de « l’envahisseur » – l'insensibilité et la déformation causées par une empoignade ou un coup de massette mal assené. La sagesse consisterait donc à accepter le sort tel qu’il est, à ne rien souhaiter à autrui qu’une balade. Est-ce en définitive une ode à la beauté du monde, tel qu’il est, avec ses impossibilités, ses limites au fantasme ? Ainsi faut-il accepter qu'il est inenvisageable de s’installer sur Vénus, une fois percé le mystère de la planète, à l'atmosphère irrespirable.

En 2008, Fabio Viscogliosi avait monté une exposition portant quasiment le même titre : Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit {que ce soit des prières, des tranquillisants ou une bouteille de Jack Daniel’s}
A lire, un entretien très éclairant à ce sujet.

C'est l'art perçu comme ouverture au champ des possibles : "Chaque livre ici, comme chaque objet dans l’exposition, est l’indice possible d’une autre réalité, d’un autre moment."

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